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Enjeux citoyenneté dans le monde arabe

Aboulmajd Abdeljalil
 Président du CCES      

    

«Nous ne commençons proprement à devenir hommes qu’après avoir été citoyens»

                                                                       Jean Jacques Rousseau (1712-1778)

Résumé

La citoyenneté, axe majeur de l’Etat démocratique moderne, est un enjeu mondial que ce soit dans les pays démocratiques ou dans les pays dits en transition. S’il s’agit pour certains de reconstruire et de redynamiser la citoyenneté, il s’agit par contre pour d’autres de la bâtir. Ainsi la question de la citoyenneté est au cœur du débat politique et de la réflexion théorique partout dans le monde. Les congrès, les conférences et les séminaires s’organisent.  De même qu’une abondante littérature y consacrée.

Cet article se propose de revenir au concept de la citoyenneté et de tenter d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : Qu’est-ce que la citoyenneté ? Est-ce une préoccupation nouvelle, un défi nouveau ? Ou alors s’agirait-il d’une constante, d’un thème présent depuis l’aube des temps lorsque « le premier homme rencontra le deuxième » ? Que signifie être citoyen ? Peut-on parler de citoyenneté dans le monde arabe ?

Mots clés

Citoyenneté, enjeux, monde arabe, islam et démocratie

I-Introduction 

Avant d’aborder la problématique de la citoyenneté dans le monde arabe, il convient d’abord de définir la citoyenneté et de mettre l’accent sur l’évolution historique de ce concept moderne.

I-Définition de la citoyenneté 

Dans son acception moderne la citoyenneté contemporaine repose sur des valeurs fondamentales que sont la liberté, la solidarité, l’égalité, la responsabilité et le respect. Ainsi, Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs, sans normes.

De nombreux auteurs distinguent trois aspects dans le concept de citoyenneté.

En premier lieu un aspect identitaire : être citoyen, c’est éprouver une « ressemblance fondatrice » avec d’autres – ressemblance qui est à la fois le principe de cohérence de l’identité nationale et de sa distinction des autres nations. Cette ressemblance peut aussi bien se fonder sur une histoire commune, une culture ou une langue communes, voire une religion, des traditions : l’essentiel est qu’elle donne lieu à une « conscience d’identité » qui émerge à travers les différences individuelles, sociales, ethniques ou géographiques qui caractérisent les citoyens d’une même nation.

En second lieu, être citoyen, c’est prendre des décisions ensemble, être partie prenante de projets, d’entreprises, d’actions auxquelles on participe par le biais de l’élection des représentants ou, dans le cas de la démocratie directe, par le processus référendaire. C’est ce qu’on pourrait appeler l’aspect pragmatique de la citoyenneté.

Enfin être citoyen c’est avoir conscience de droits et de devoirs. C’est donc être vigilant non seulement pour la défense de ses propres droits, mais aussi ceux des autres ; non seulement pour l’accomplissement de ses devoirs propres, mais aussi ceux des autres.

III-Histoire de l’idée de la citoyenneté :

La citoyenneté a une histoire qui remonte aux Anciens Grecs. L’œuvre d’Aristote en particulier nous serait de la plus grande utilité. La route jusqu’au 21e siècle serait longue, mais on se limitera aux grandes œuvres de Jean Jacques Rousseau, d’Emmanuel Kant, Montesquieu, Hegel, et plus récemment Thomas Humphrey Marshall.  

Aristote (384-322 av. J-C) construit sa définition du citoyen à partir de la notion de pouvoir de commander : La citoyenneté n’est pas un état, ce n’est pas un droit, c’est un pouvoir. Le citoyen doit être conçu comme magistrat. Il exerce le pouvoir commun de la cité. Aristote précise que « Ce qui constitue donc proprement le citoyen, sa qualité vraiment caractéristique, c’est le droit de suffrage dans les assemblées et de participation à l’exercice de la puissance publique dans sa partie ».

Il ressort de la conception politique d’Aristote que la citoyenneté n’est pas un droit, c’est un privilège. Elle ne concernait qu’une élite (10% de la population) excluant les femmes, les esclaves, les moins de dix-huit ans et les étrangers. Elle était surtout une citoyenneté de responsabilité politique au premier chef.

La citoyenneté connaît ensuite une longue éclipse au Moyen-Âge. Elle est réactivée par les maîtres de la pensée des lumières qui se sont penchés sur le sujet.

Il convient de présenter brièvement l‘idée de citoyenneté ressortant des écrits de Rousseau, Kant, Montesquieu et Hegel.

Pour Rousseau, (1712-1778) la citoyenneté suppose un pacte social, plus ou moins explicite liant les citoyens d’une même collectivité. Il écrit à ce sujet : « chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ». En devenant citoyen, chacun s’engage à vivre désormais selon la volonté de ce tout, ce que Rousseau appelle la volonté générale, et qui s’exprime par la loi. Le contrat engendre ainsi une souveraineté dotée d’une autorité absolue.

C’est en se soumettant aux lois que l’individu devient libre, sa liberté s’arrêtant là où elle empiète sur celle de l’autre.

Quant à la philosophie politique d’Emmanuel Kant (1724-1804), elle est fondée essentiellement sur la complémentarité de la liberté et de la loi.

Pour que les droits de tous soient protégés, il faut une loi ; il faut qu’elle soit « l’acte d’une volonté publique ».

Dans la pensée de Kant, la citoyenneté se fonde sur trois principes : la liberté de chaque membre de la société en tant qu’homme, l’égalité de tout homme membre d’une communauté en tant que citoyen et l’autonomie de chaque membre d’une communauté en tant que citoyen

Pour Montesquieu (1689-1755), la citoyenneté est essentiellement une vertu. Cette vertu est l’attachement à ce qui est commun. La vertu politique ne peut être que civique et n’est possible que si l’homme s’élève à l’intérêt commun. Par conséquent, il n’y a de vertu que si le public a précellence sur le privé. Le principe démocratique repose donc sur un tel renoncement, qui a pour effet de limiter l’expansion des passions particulières pour favoriser l’éclosion de l’affectivité proprement politique : l’amour des généralités, la patrie, la loi, l’égalité.  Précisément, la corruption du principe démocratique commence par un changement dans la direction des désirs des citoyens ; ce qui se valorise, ce n’est plus la généralité de la patrie, de la loi, mais la particularité de l’argent, de la fonction sociale ou politique. Montesquieu dresse ainsi un tableau de la démocratie où le ressort de la vertu a cessé : « Les désirs changent d’objets : ce qu’on aimait, on ne l’aime plus .On était libre avec les lois, on veut être libre contre elles (…) Ce qui était maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui était règle, on l’appelle gêne ; ce qui était attention, on l’appelle crainte « .

Pour Hegel (1770-1831), l’Etat qualifié de « divin terrestre» est le seul organisme qui réalise la liberté concrète du citoyen, ainsi l’Etat est la condition de l’existence du citoyen. En l’absence d’Etat, point de citoyenneté. « Les citoyens sont dans l’Etat comme les membres dans l’organisme، car le sujet est vraiment libre lorsqu’il est membre d’un Etat rationnel, et son plus haut devoir est d’être membre de l’Etat ». 

Malgré son refus d’institutions démocratiques, Hegel n’a jamais défendu l’Etat totalitaire qui écrase l’individu, au contraire l’Etat de Hegel est un Etat légal, toutes ses autorités, parlement, gouvernement, tribunaux, administrations, doivent respecter la loi, de sorte à ce que les droits des citoyens soient protégés.

La monarchie constitutionnelle fondée sur un corps de fonctionnaires de métier (les compétences) et pourvue d’institutions représentatives est considérée comme le meilleur régime qui correspond à l’Etat. « La monarchie héréditaire lui paraît être, à travers les Institutions prussiennes de l’époque de Frédéric-Guillaume III, le système le mieux adapté à la nécessité rationnelle de sa conception de l’Etat ».

Le sociologue anglais Thomas Humphrey Marshall (1893-1981) est l’auteur de « Citizenship and social class », une des œuvres les plus citées dans les sciences sociales.

Pour Marshall, la citoyenneté est premièrement un statut dont jouissent les membres à part entière d’une société donnée. Deuxièmement, tous ceux qui jouissent de ce statut sont entièrement égaux en ce qui concerne les droits et les devoirs.

Ainsi, la citoyenneté dans la conception de T.H. Marshall implique essentiellement des droits, le citoyen à part entière bénéficie non seulement de droits politiques et civils mais aussi de droits sociaux, à savoir un niveau minimal de vie et de travail.

IV- Défis de citoyenneté dans le monde arabe

Parler de la citoyenneté dans le monde arabe est un sujet à la fois difficile épineux et complexe à la fois. 

Le terme citoyen « Muwatin »ou citoyenneté « Muwatana » largement utilisé dans la littérature politique arabo-islamique moderne est diffèrent du concept arabe « Ra ‘iya » dans la pensée politique islamique traditionnelle.

 Dans toute la littérature politique de l’islam sunnite traditionaliste dite Sultanine, depuis les Statuts Gouvernementaux « Ahkam sulataiyya » du légiste chafiite, al-Mawardi,  Aḥkam al-sulṭaniyya du jurisconsulte hanbalite Abu Yaʿla, « Siyassa as-shariyya »  du grand  théologien et jurisconsulte Ibn Taymiyya et le flambeau des rois « Siraj al-muluk » d’At–tartushi, le terme Ra’iyya est abondamment utilisé  pour désigner les gouvernés et établir leurs droits et devoirs .

Dans les empires omeyyade et abbasside, les sociétés musulmanes distinguaient parmi les non-musulmans les « gens du Livre » (ahl al-kitab) des païens (kuffar). Seuls les premiers (les juifs et les chrétiens) étaient juridiquement reconnus et bénéficiaient du statut de dhimmis qui faisait d’eux des sujets à part qui, en échange de la protection du souverain, payaient des impôts particuliers: la djizia, qui était une capitation, et le kharaj, un impôt foncier qui finit par être payé par tous les cultivateurs, quelle que fût leur religion. L’organisation juridico-politique de l’Empire ottoman reprit le principe de la dhimma, autrement dit de la protection du souverain, en organisant les minorités en millet, des communautés religieuses dotées d’un interlocuteur auprès du sultan, de tribunaux séparés pour les affaires privées, et d’écoles. Les millet jouissaient d’une autonomie religieuse.

Les évènements des Etats-nations après la première guerre mondiale a jeté la base d’un nouveau lien au sein des différents Etats, et parmi eux les Etats arabes : c’est la citoyenneté qui lie désormais tous les ressortissants dans un Etat sans distinction de race, de langue, de religion etc.

Il convient de préciser que depuis le XIXe siècle des penseurs réformistes comme Rifa’a al-Tahtawi (1801-1873), Butrus al-Bustani (1819-1883) Abd Al-Rahmân Al-Kawākibi (1855-1902) Mohammed Abduh(1849-1905) commencent à s’exprimer sur des sujets  aussi essentiels comme l’islam et la modernité, la constitution,  la liberté et  la citoyenneté .

 Un autre facteur aussi déterminant est l’apparition d’un mouvement constitutionnel moderne avec la promulgation de la première constitution tunisienne de 1861 et la constitution ottomane de 1876. D’autre constitutions ont été promulguées pendant l’entre deux guerre : la constitution égyptienne de 1923, la constitution libanaise de 1926, la constitution irakienne de 1925 et la constitution syrienne de 1930. Ce mouvement constitutionnel s’acheva dans les autres pays arabes avec la décolonisation.

Après les indépendances des pays arabes, la Constitution n’a cessé d’être instrumentalisée par les régimes et les principes qu’elle consacre ne sont pas respectés : Les libertés individuelles et les libertés publiques sont bafouées. La vie privée n’est pas respectée. Le secret de la correspondance est violé et les écoutes téléphoniques sont fréquentes sans motifs légitimes ni contrôle judiciaire réel. La justice n’est pas indépendante.

Aujourd’hui le monde arabe se trouve dans l’impasse suite aux expériences malheureuses du nationalisme, du panarabisme, et du socialisme. Expériences qui se sont toutes soldées pas de cuisants échecs avec pour conséquences l’instauration de régime autoritaires, corrompus et violents. Causant un traumatisme générationnel. L’historien britannique Bernard Lewis a trouvé les causes de ce traumatisme. Dans “What Went Wrong“, traduit en français par « Que s’est-il passé ? L’Islam, l’Occident et la modernité », il explique que le « le manque de liberté » est à la racine de tous les problèmes. Manque de « la liberté de l’esprit, affranchi des contraintes et de l’endoctrinement, la liberté de questionner, de rechercher et de s’exprimer, la liberté de l’économie, hors du champ de la corruption et de l’incompétence, la liberté des femmes, hors de portée de l’oppression des hommes, et la liberté des citoyens, hors de l’emprise de la tyrannie ».

Il ressort de ce qui précède que seul le respect des libertés reconnues et exercées pourra permettre un avenir de développement, de prospérité et d’épanouissement des peuples arabes.

Conclusion

La citoyenneté est encore un projet dans le monde arabe et reste un long chemin à parcourir avant que les valeurs de la citoyenneté soient intégrées dans les consciences des personnes et ensuite se transforment en comportement et en pratiques. C’est un processus qui demande du temps et aussi des générations.

Pour aller plus loin :

 -Aristote « La politique » texte présenté et annoté par Marcel Prélot. Editions Denoël Paris, 1983.

 -Anicet Le Pors « La citoyenneté » P.U.F   Paris 1999.

 -Al- Mawardi « Al Ahkam  as-sultaaniya »,Editions Dar Saâda, Le Caire 1909.

 -At-Tartushi « Siraj al-muluk », Editions Riyad Ar-Rayis, Londres 1990.

-Bernard Lewis «Que s’est-il passé? L’Islam, l’Occident et la modernité» Editions Gallimard, Paris 2002.

 -Fred Constant «La citoyenneté » Editions Montchrestien, Paris 1998.

 -Gérard Raulet « Kant, Histoire et citoyenneté»   P.U.F Paris 1996. 

 -Ibn Taymiyya   « Assiyasa as shariyya », Dar Al  Afaq Al jadida,  Beyrouth , 1983.

 -Jean Jacques Rousseau « Du contrat social » Editions Flammarion, Paris 1992.

 -Marco Martiniello «La citoyenneté à l’aube du 21e siècle» Université de Liège, 2000.

 -Montesquieu « De l’esprit des lois » Editions Garnier-Flammarion, Paris, 1979.

 -Paul Dubouchet « Histoire de la philosophie des idées politiques »Editions L’Hermès, Lyon 1995.

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