
Depuis l’accession au pouvoir de l’Emir Sheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani en 1995, le Qatar a considérablement évolué pour devenir un acteur incontournable dans la médiation internationale. Cet article a pour objet de présenter d’une manière objective et complète les principaux aspects de la géopolitique de Qatar à travers son histoire récente, ses institutions, son développement économique et ses enjeux régionaux.
I) Aperçu historique
Après le départ des Ottomans, au début de la Première Guerre mondiale, les Britanniques reconnaissent le cheikh Abdallah bin Jassim Al-Thani comme monarque, concluant un traité un traité de protectorat avec les Qataris sur la même forme qu’avec les autres principautés du Golfe.
En 1939, du pétrole est découvert à Dukhan, à l’ouest du Qatar. Mais l’exploitation ne commence qu’en 1949 en raison de la seconde guerre mondiale.
Dans le contexte de la décolonisation après 1945, cette tutelle britannique, qui n’a pas de conséquences directes sur le développement du pays contrairement à d’autres possessions coloniales, commence toutefois à être mise en cause dans les années 1960.
Ainsi en 1967, le gouvernement britannique annonce son retrait unilatéral des forces d’Asie et du Golfe. Aden, elle-même était abandonnée et Chypre demeurait la pointe orientale avancée du dispositif stratégique du Royaume-Uni.
En 1971 le Qatar accède à son indépendance et refuse de rejoindre les Émirats arabes unis nouvellement créés. La famille souveraine Al-Thani gouverne initialement de façon traditionnelle.

L’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération marque un tournant dans la politique de développement du Qatar. L’Emir Hamad ben Khalifa Al Thani définit une stratégie de modernisation et de puissance dans quatre directions : l’information, les investissements financiers, le sponsoring et la politique étrangère.
En plus du développement économique, le développement humain est l’une des quatre priorités de l’émirat, comme cela a été identifié dans le document présentant la vision nationale 2030 «Qatar National Vision» visant à faire du Qatar une société avancée capable de maintenir son développement et de fournir un niveau de vie élevé à son peuple à l’horizon 2030.
De même, l’Emir a annoncé son intention d’amener le Qatar à la démocratie, et a autorisé une presse libre et ouverte et des élections municipales. Des réformes démocratiques, économiques et sociales ont été menées ces dernières années. En 2003, la constitution du pays a été approuvée par un référendum démocratique.
En août 2013, l’Emir Hamad Ben Khalifa al-Thani passe le pouvoir à son fils Tamim, après 20 ans de construction d’une reconnaissance stratégique et diplomatique du pays. En accédant au pouvoir l’Emir Tamim bin Hamad Al Thani poursuit le processus de transformation économique et sociétale profond engagé par son père l’Emir Hamad, en partisan résolu de l’ouverture mais soucieux néanmoins de concilier développement du pays et respect des traditions.
II) Le Qatar du soft power au hard power
Ce pays de confession sunnite, principal exportateur de gaz naturel liquéfié (LNG), dispose des grandes réserves mondiales de gaz qui lui rapportent suffisamment d’argent pour développer ce qui, dans les pays du Golfe mais aussi à l’échelle du monde, fait sa force : son soft power.
Le soft power, c’est l’influence qu’exerce un pays par d’autres moyens que les armes, qui sont donc le hard power.
Pour Joseph Nye, analyste et théoricien américain des relations internationales, le soft power n’a vocation qu’à compléter le hard power, pas à le remplacer. Selon les propres mots de son promoteur, il représente « l’autre face de la puissance ». Aux côtés des formes traditionnelles de coercition, il s’agirait, pour chaque acteur international, d’étendre le « domaine de la lutte » vers les spectres de l’influence et de la séduction.
Pour reprendre la théorie Joseph Nye, si le Qatar ne peut user que modérément de son hard power (ou de sa force coercitive, principalement militaire voire, parfois, économique), il peut néanmoins tenter de renforcer son soft power, ce qui inclus, entre autres, l’information et sa diffusion.

La chaîne al Jazeera, (Péninsule), qui s’imposera comme le meilleur outil de soft power qatari. Les conflits en Afghanistan (2001), Irak (2003), et plus récemment ce qu’on appelle le «Printemps arabe» sont entre autres exemples là pour le prouver.
Le basculement lors de l’année 2011 et renvoie à la fois aux bouleversements géopolitiques régionaux dus aux soulèvements de 2011.
Le changement de stratégie régionale du Qatar fut commencé en Libye puis poursuivi en Syrie. Dans ces deux cas, le Qatar a ouvertement soutenu une partie des acteurs impliqués dans un conflit et s’est engagé directement dans des théâtres d’opération rompant ainsi avec sa politique de médiateur neutre.
Ainsi, Qatar a clairement rompu avec ses politiques d’influences précédentes inspiré du soft power anglo-saxon pour s’engager dans une politique de puissance proche du hard power.
III) Qatar l’Iran et les pays du Golf
Ayant établi un lien privilégié avec les États-Unis (ceux-ci ont stationné à Al Oudeid leur plus grande base aérienne), Doha ménage également ses relations avec Téhéran car les deux États partagent l’exploitation du champ gazier North Dome (nommé South Pars côté iranien). La posture est délicate : les voisins du Qatar l’accusent d’être un agent de la République islamique et de participer aux plans de déstabilisation du monde sunnite.
En fait, l’Iran et Qatar exploitent conjointement le même vaste champ gazier, le North Dome du côté qatarien, et le South Pars du côté iranien. Cet énorme gisement de gaz oblige les deux Etats à la coopération.
Ces liens que Doha entretient avec l’Iran cristallisent encore un peu plus des relations compliquées et tendues entre le Qatar et l’Arabie saoudite, qui voit dans Téhéran un rival à ses rêves de puissance dans la région.
Les racines de la rivalité entre les voisins du Golfe sont en réalité beaucoup plus anciennes et ont surtout trait aux ambitions d’hégémonie régionale des uns et des autres. Alors que l’Emirat se lançait dans les années 1990 dans une grande opération de développement tous azimuts – énergétique, économique, éducatif, etc. L’Emir, Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, arrivé au pouvoir en juin 1995, décide, de changer radicalement le destin du pays. Le Qatar passe du statut de pétromonarchie insignifiante à celui d’acteur influent de la scène internationale.
A partir de 2008, la situation entre les deux pays devient tendue. Le Qatar fait preuve d’indépendance par rapport à l’Arabie saoudite et aux autres pays du Golfe (Bahreïn, Oman…). En 2006-2007, les deux pays s’opposent sur le Liban, puis en 2009 sur le Yémen et enfin en 2011 sur l’Egypte.
l’Arabie saoudite reproche au Qatar ses velléités de soft-power matérialisées d’une part dans ses investissements massifs dans le domaine sportif, avec comme vitrine l’acquisition du célèbre Paris Saint-Germain par l’Emir du Qatar ou encore l’obtention de la prochaine Coupe du Monde de football, et d’autre part dans le domaine des médias, à travers les chaines Al-Jazeera dont le rayonnement au Moyen-Orient et dans le monde n’est pas négligeable, et Bein Sport disposant des droits de diffusion de plusieurs licences sportives dont les principaux championnats de football européens.
Le 5 juin 2017, les trois de ses voisins (Arabie saoudite, Bahreïn et Emirats arabes unis) ainsi que l’Egypte qui imposent au Qatar un embargo. Ces derniers reprochent notamment au Qatar sa relation avec l’Iran et les Frères musulmans, la présence militaire turque dans le pays, la ligne éditoriale d’Al Jazeera accusée d’interférences dans leurs affaires intérieures ou encore son soutien supposé au terrorisme.
Après deux ans et demi de blocus et de guerre froide entre le Qatar et l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, une timide voie diplomatique est à nouveau ouverte. Si des signes de bonne volonté sont donnés des deux côtés, la normalisation n’est pourtant pas pour tout de suite.
Les Etats-Unis ont fait pression pour cette réconciliation afin d’isoler davantage l’Iran, dans le cadre de leur stratégie de « pression maximale » sur Téhéran.
Conclusion
Aujourd’hui, le Qatar a deux grands voisins surpuissants militairement : l’Iran et l’Arabie saoudite. C’est cette faiblesse stratégique et géopolitique en matière de hard power qui a incité le Qatar à mener une vaste campagne de renforcement de son soft power, notamment à travers les médias et le sport. L’atout du gaz naturel liquéfié est là pour financer le tout mais le défi d’avenir est grand.
Pour aller plus loin :
-Joulié Jean-Louis «Le Qatar» Editions Edifra, Beyrouth, 1994.
-Montigny-Kozlowska «Histoire et changements sociaux au Qatar» In La péninsule arabique d’aujourd’hui. CNRS Editions, Paris 1982.
-Ennasri Nabil «L’énigme du Qatar» Iris Editions, 2013.