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La connaissance, enjeu politique et géopolitique

Conscients de l’importance des savoirs dans la mise en œuvre d’une politique de puissance, les États cherchent à mettre en place des politiques de développement de la recherche et de l’innovation pour accroître leur prospérité économique, asseoir leur supériorité militaire mais aussi étendre leur influence culturelle. Entre rivalités et coopération, la connaissance devient un enjeu fondamental pour les relations internationales. Quelles sont les relations entre savoir et pouvoir ? Pourquoi et comment les États se saisissent-ils de l’enjeu de la connaissance ? Comment l’économie de la connaissance influe-t-elle sur les relations internationales ?

  1. La connaissance au service de la décision

A. Un pouvoir éclairé

L’action politique est le fruit d’un processus de décision des détenteurs de l’autorité. Pour ce faire, les gouvernants s’entourent de conseillers et de savants dont les connaissances servent à éclairer leurs choix. Dans une démocratie, les débats agitent l’opinion, influencent le pouvoir et légitiment les décisions.

À partir du XIXe siècle, dans le cadre des transformations industrielles, sciences et techniques construisent un modèle de développement lié aux progrès de la connaissance.

 Dans les sociétés contemporaines, les démocraties sont entrées dans un processus de «scientifisation du politique» où le rôle des experts prend de plus en plus d’importance face à la complexité des problèmes de société. Par exemple, les questions environnementales actuelles offrent une large place à la consultation de scientifiques.

B. Savoir et critique

La connaissance peut être utilisée pour influencer l’opinion publique. À partir des années 1970, dans le cadre des débats autour de la résolution de la crise économique mondiale, des think tanks sont créés pour diffuser des idées néolibérales dans les pays industrialisés. Ils souhaitent remettre en cause les principes keynésiens qui dominaient le monde universitaire et politique depuis l’après-guerre.

Des associations, des journalistes ou des lanceurs d’alerte sont également sources et vecteurs de nouveaux savoirs. En 1991, une journaliste révèle ainsi qu’en France, le Centre national de transfusion sanguine a distribué sciemment, entre 1984 et 1985, des produits sanguins contaminés par le virus du sida à des hémophiles. Une enquête s’ouvre et d’anciens ministres sont jugés en 1999.

II- La connaissance, instrument de contrôle

A. Des données pour l’action politique

L’extension des fonctions de l’État au cours des XIXe et XXe siècles entraîne le développement de la bureaucratie. La mise en place de politiques sociales, fiscales ou monétaires exige une administration chargée entre autres de collecter des données précises pour mettre en œuvre des mesures efficaces.

La collecte de données peut également répondre à des logiques de sécurité. Au début des années 2000, pour lutter contre le terrorisme, la NSA met au point l’opération Stellar Windqui permet d’avoir accès aux téléphones et ordinateurs portables des Américains. En 2013, l’informaticien de la NSA Edward Snowden révèle à la presse la réalité de cette surveillance de masse.

B. Le contrôle des connaissances dans les régimes autoritaires

Chaque régime autoritaire contrôle la production et la diffusion des connaissances par la censure. L’accès aux sources de connaissances est restreint : l’accès aux archives est sévèrement limité et l’usage libre d’Internet empêché, comme en Chine. Les scientifiques travaillent sous le contrôle étroit de l’État. Ils peuvent subir de fortes contraintes ou représailles s’ils manifestent leur désaccord avec le régime.

L’État recueille les informations afin d’empêcher toute forme d’opposition au régime. En République démocratique allemande (1949-1990), la Stasi contrôle le courrier et les conversations téléphoniques ou pratique des filatures de milliers d’individus au quotidien.

III- La connaissance au service du hard power

A. La science, une arme de guerre

Depuis l’avènement des guerres industrielles, la supériorité technique des armements est fondamentale. À partir de la Seconde Guerre mondiale, militaires et scientifiques collaborent activement. Les innovations trouvent leur application immédiate, tels le radar, le sonar ou encore le caoutchouc synthétique. L’arme nucléaire est conçue dans le cadre du «projet Manhattan» qui rassemble des scientifiques allemands réfugiés, des savants et l’État-major américains.

L’innovation scientifique et technologique joue un rôle majeur au cœur des armées. Au cours des années 1990, ce que l’on appelle la «révolution des affaires militaires» a pour objectif de réduire l’implication directe des individus dans le combat grâce aux recours à la technologie. L’usage des nanotechnologies, de l’intelligence artificielle, de drones autonomes de combat s’est développé dans les armées.

Ainsi, la maîtrise du savoir informatique est devenue un enjeu fondamental pour mener des cyberattaques. Les services de renseignement américains et israéliens ont ainsi lancé le virus informatique Stuxnet pour saboter le programme nucléaire iranien en 2010.

B. Le rôle du renseignement

Le renseignement assure une fonction essentielle pour la sécurité de l’État. Si le renseignement intérieur peut permettre de prévenir les actes criminels, le renseignement extérieur permet d’assurer la protection du territoire contre des actes venus des puissances étrangères, d’anticiper les décisions de celles-ci et d’adapter sa politique étrangère. Lors de la guerre froide, les services de renseignement des grandes puissances se sont montrés particulièrement actifs pour tenter de déstabiliser leur adversaire.

Les services de renseignement peuvent aller jusqu’à produire une connaissance factice. L’opération Fortitude lors de la Seconde Guerre mondiale en est un exemple. Pour permettre le débarquement en Normandie, les Britanniques ont mené une vaste opération de falsification pour convaincre les nazis d’une attaque alliée dans le Pas-de-Calais.

IV- Économie et connaissance

A. Connaissance et croissance

L’innovation est considérée comme un des moteurs de la croissance économique. Selon l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950), les cycles de croissances et de crises sont articulés autour des innovations selon le processus de destruction créatrice. Les vidéos sous format VHS ont ainsi disparu du marché pour être remplacées par les DVD puis par la VOD, qui modifie les objets et pratiques de consommation.

La production de nouvelles technologies devient centrale dans le système économique. Pour le chercheur américain contemporain Paul M. Romer, ce ne sont plus les ressources naturelles ou la démographie qui génèrent la croissance mais la production et la diffusion de connaissances et de savoir-faire.

B. L’économie de la connaissance

Selon l’économiste autrichien Fritz Machlup (1902-1983), le système économique est désormais celui de l’économie de la connaissance. Les impératifs de l’innovation fournissent une production renouvelée et permettent les performances économiques. Dans ce contexte, le rythme de circulation des connaissances est accéléré, les activités de recherches dispersées, les besoins en main-d’oeuvre hautement qualifiée accrus.

La connaissance peut devenir la base d’une politique de développement économique. De nombreux États ont décidé d’investir pour orienter une part majeure de leur économie vers les activités de recherche et la conception de produits de haute technologie (Inde, Singapour, Corée du Sud…).

V- Connaissance et puissance

A. L’État et la production de connaissance

L’État encourage le développement scientifique et technique. Il peut ainsi mener une politique d’éducation centrée sur le développement des savoirs intellectuels. Il cherche à attirer les chercheurs les plus renommés par de solides conditions de travail et équipements («brain drain » aux États-Unis) créant les conditions de transferts de technologie.

Les gouvernements soutiennent la création de « learning regions ». Elles sont marquées par une « culture créative » et des conditions favorables au développement des recherches. Les pouvoirs publics y encouragent le partenariat public-privé, notamment par la réalisation de clusters.

B. Puissance et compétitivité

À partir des années 1950, les activités de savoirs contribuent au smart power des États industrialisés. Les dépenses en recherche et développement (R&D), le pourcentage de populations diplômées du supérieur, le nombre de dépôts de brevets sont autant de signes de la puissance scientifique et technologique d’un État.

Une hiérarchie se forme entre des États en concurrence. Les États-Unis sont aujourd’hui les premiers émetteurs de brevets et investisseurs dans la recherche scientifique dans le monde. En 2016, la Chine se fixe pour objectif de devenir le « leader international de l’innovation » en 2030. Dans ce but, le pays augmente fortement ses dépenses en R&D.

La mise en concurrence des universités témoigne de cette recherche de compétitivité des territoires. Différents classements internationaux mesurent la puissance académique des établissements du supérieur. Le plus célèbre d’entre eux, le classement de Shanghai, est dominé par les universités américaines.

VI- La connaissance, entre tensions et coopération

A. De la compétition à la tension

Les États rivalisent de projets pour maintenir leur domination scientifique, composante de la puissance. En 1957, le lancement du satellite Spoutnik est vécu comme la démonstration de la supériorité scientifique et technique soviétique. Afin de contrer l’URSS, le président Eisenhower crée la NASA et Kennedy annonce en 1961 le programme Apollo qui doit permettre aux Américains de marcher sur la Lune. En 1969, le réseau ARPANET, ancêtre d’Internet développé par le ministère de la Défense américain, réalise sa première communication.

La maîtrise de certaines connaissances ou technologies stratégiques devient parfois source de tensions entre les États. En 2019, les États-Unis et la Chine s’opposent au sujet de Huawei, leader sur le marché de la 5G. Pour éviter d’être dépendant de cette entreprise très en avance, le gouvernement américain la dénonce comme un danger pour la sécurité des communications aux États-Unis et cherche à limiter son activité.

B. La connaissance, lieu de la coopération internationale

La recherche, compte tenu de son coût, est aussi le lieu des coopérations. L’organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) regroupe ainsi 23 partenaires, dont certains en dehors de l’espace européen (Japon, États-Unis), pour étudier la physique des particules.

Certains problèmes mondiaux (climat, environnement) impliquent une collaboration scientifique internationale portée par les États. Des groupes de chercheurs internationaux sont constitués, à l’image du GIEC, créé en 1988 à l’initiative du Programme des Nations unies pour l’Environnement.

Le développement massif des TIC, les échanges universitaires internationaux posent la question de la science ouverte. De plus en plus de chercheurs ou d’institutions acceptent d’accorder un libre accès à leurs données pour améliorer les échanges scientifiques et progresser plus rapidement.

VII- La connaissance au cœur des enjeux économiques contemporains

Connaissance, technique et économie sont intimement liées. Les avancées scientifiques permettent des évolutions techniques qui influencent les cycles de l’économie. Pour l’économiste Schumpeter, l’innovation est au coeur de la croissance par le processus de destruction créatrice.

Les formes de croissance économique contemporaine dépendent moins des ressources en matières premières que des impératifs de l’innovation. Cette économie de la connaissance implique des politiques visant le développement des activités liées à la connaissance et la haute technologie.

Les activités liées au savoir scientifique deviennent ainsi des stratégies de développement économique. L’État peut devenir le promoteur des activités de recherche et développement (R&D), tout comme chercher à attirer les étudiants et les chercheurs les plus qualifiés (brain drain).

Pour aller plus loin :

-Alix Jean-Pierre «  Société de la connaissance, réforme ou révolution ? » dans Nature, sciences sociétés vol. 19 (2011).

-Isabelle Saint-Mézard, Atlas de l’Inde : une nouvelle puissance mondiale, Autrement, 2016.

Jean-pierre Bouchez « l’économie du savoir  : ses composantes, ses dynamiques et ses enjeux»   dans Savoirs 2014/1 (n° 34).

-Yves Ardourel  «Vers une nouvelle société de la connaissance : les enjeux du numérique et de la formation»   Presses universitaires de Bordeaux, 2015.

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