Que signifie exactement le terme « déflation » ? Quels événements peuvent provoquer le phénomène et quels sont ses effets économiques et sociétaux ? Quelles sont les principales occurrences historiques de déflation et qu’en est-il aujourd’hui ?
I) La définition :
La déflation désigne une diminution de la moyenne de l’ensemble des prix dans une zone économique donnée, constatée sur une période durable (plusieurs trimestres consécutifs). Elle se caractérise donc par une hausse du pouvoir d’achat de la monnaie sur la période concernée.
La déflation est l’opposé de l’inflation. À l’inverse de cette dernière, elle se caractérise en effet par une baisse durable et auto entretenue du niveau général des prix.
À noter que la déflation peut être dite sectorielle, si elle ne touche qu’une partie de l’activité économique, ou généralisée.
Il est aussi important de ne pas confondre déflation et désinflation compétitive. Cette dernière désigne une politique visant à favoriser le ralentissement du rythme de l’inflation pour améliorer la progression du pouvoir d’achat et gagner en compétitivité-prix. En pratique, dans le cas d’une désinflation, l’indice général des prix diminue mais reste positif. Dans le cas d’une déflation, aussi appelée inflation négative, l’indice général des prix passe sous le taux de 0%.
II) Les différentes causes de la déflation:
En économie de marché, la déflation résulte structurellement d’un déséquilibre durable de l’offre et de la demande, la première étant supérieure à la seconde. Il en découle mécaniquement une baisse des prix qui s’auto-entretient. Les causes principales de ce déséquilibre, souvent cumulées, peuvent être de diverses natures :
- surproduction de biens et d’offres de service,
- contraction des débouchés,
- diminution des coûts de production,
- contraction de la masse monétaire en circulation,
- surendettement et restriction du crédit,
- politiques d’austérité et de monnaie forte…
Les exemples de déflation sont rares. Dans les pays développés, on n’en recense que deux exemples au cours des 100 dernières années : la déflation des années 1930, qui a touché les États-Unis puis l’Europe, et celle, plus récente, qui a atteint l’économie japonaise à la fin des années 1990.
Dans les deux cas, la déflation s’est déclarée à la suite d’un choc financier (krach boursier aux États-Unis en 1929, krach boursier puis immobilier au Japon en 1990-1992) auquel les autorités monétaires ont apporté des réponses inadaptées ou trop tardives qui ont précipité l’économie dans une crise profonde.
Aux États-Unis, la banque centrale (la FED) décide, face à la chute de la bourse en octobre 1929, d’augmenter ses taux d’intérêt. Il en résultera une contraction du crédit et de l’activité qui plongera l’économie dans la déflation. La leçon de cette erreur sera retenue. Ainsi, en 2008, la FED réagira en effet très rapidement au krach immobilier et boursier en injectant des liquidités et en abaissant ses taux directeurs.
Au Japon, les krachs boursier et immobilier du début des années 1990 fragilisent les banques qui avaient accordé de nombreux prêts gagés sur la valeur des actifs immobiliers, et qui se retrouvent en difficulté.
Pour y faire face, elles vendent massivement les actifs financiers qu’elles détiennent, actions et obligations, et réduisent la distribution de crédit. L’activité se contracte et les agents économiques cherchent à se désendetter plutôt que d’investir dans des actifs dont les prix baissent.
Une spirale de type baisse des prix des actifs –> désendettement -> report des investissemenst -> baisse des prix des actifs se met en place et finit par peser sur l’activité via la baisse des investissements et l’absence de revalorisation des salaires. La Banque du Japon tarde à réagir. En effet, l’économie japonaise avait déjà basculé dans la déflation quand la politique du taux zéro et des mesures non conventionnelles d’achats d’actifs financiers ont été adoptées.
III) Les conséquences de la déflation:
À première vue, la déflation est une bonne chose pour le consommateur, avec des prix de biens et de services qui baissent et des ménages qui voient alors leur pouvoir d’achat augmenter considérablement et durablement. Mais, en réalité, les conséquences de la déflation sont plus néfastes que positives pour l’économie :
- D’une part, la baisse régulière des prix incite les ménages à reporter leurs décisions d’achats dans l’attente de nouvelles chutes de prix. Ce comportement conduit à thésauriser la monnaie, baisser la consommation globale et à gonfler les stocks des entreprises qui n’arrivent plus à écouler leurs productions. En réaction, celles-ci réduisent leur production et leurs investissements. Les salaires baissent, les embauches se raréfient et le chômage progresse, ce qui finit par affecter le revenu des ménages. Il s’ensuit une nouvelle baisse de la consommation qui génère la formation d’un cercle vicieux car auto-entretenu. La Grèce a connu ainsi une période de déflation de 2013 à 2015.
- D’autre part, la déflation provoque une dégradation de la situation financière des particuliers et institutionnels qui ont recours à l’emprunt. En effet, le coût réel de la dette (c’est-à-dire une fois l’inflation prise en compte) augmente avec la baisse de l’indice général des prix car les remboursements des emprunts ne sont généralement pas indexés sur l’inflation. Il en résulte une moindre capacité à investir pour les entreprises et une moindre capacité à consommer pour les ménages endettés, ce qui renforce le cercle vicieux précédemment décrit.
La déflation est donc un piège en ce sens où elle génère une spirale néfaste à l’économie toute entière. Elle est en outre très difficile à combattre par les autorités monétaires car elle se nourrit des anticipations auto-réalisatrices des agents économiques : tant que ceux-ci pensent que le phénomène de baisse des prix généralisée va se poursuivre, ils adopteront toujours le même comportement attentiste qui est à l’origine de l’apparition de la déflation.
Le Japon a ainsi connu une phase prolongée de déflation depuis la fin des années 1990 que la politique monétaire n’a pas réussi à combattre efficacement. Les autorités monétaires japonaises ont en effet réagi trop tardivement alors que la déflation était déjà présente, si bien que ni les baisses de taux d’intérêt ni les politiques d’injection de liquidités dans le système financier n’ont réussi à endiguer la spirale de baisse des prix.
Tout l’enjeu pour les autorités monétaires est donc d’agir préventivement afin d’éviter que l’économie ne tombe dans la déflation.
En Europe les statistiques d’inflation publiées mensuellement par Eurostat, l’office européen des statistiques, ont fait état depuis plusieurs mois d’une désinflation importante en zone euro.
Ainsi, entre octobre 2012 et janvier 2016, le taux d’inflation annuel est passé de 2,5 % à seulement 0,3 %. Au cours du premier trimestre 2015, ainsi que pour le mois de février 2016, Eurostat a même publié une évolution du niveau général des prix négative en rythme annuel et certains pays comme la Grèce ont connu une période prolongée de baisse du niveau général des prix.
Par ailleurs, le rythme mensuel de l’inflation est momentanément passé en territoire négatif dans plusieurs grands pays européens, comme l’Espagne, l’Italie et même la France (-0,3 % entre juin et juillet 2014 pour cette dernière).
Il y a donc clairement eu un risque que la déflation s’installe en zone euro. Pour autant, la zone euro n’est pas entrée en déflation, pour plusieurs raisons :
- En premier lieu, il convient de souligner que si l’indice général des prix en zone euro s’est inscrit en baisse, c’est notamment en raison de la chute des prix de l’énergie (ceux-ci diminuent de 8 % en rythme annuel en février 2016, après -5,4 % en janvier, -5,8 % en décembre 2015 et encore -7,3 % en novembre).
- En second lieu, il convient également de mentionner que l’inflation sous-jacente (inflation sans les biens et services les plus volatils comme l’énergie) est restée en territoire positif.
- Enfin, les anticipations d’inflation sont restées ancrées en territoire positif. Les anticipations d’inflation sont mesurées par la BCE à travers deux instruments : une enquête auprès de prévisionnistes, et les informations que fournit le marché des produits dérivés traitant des titres sensibles à l’évolution de l’inflation en zone euro (essentiellement les obligations souveraines en euro indexées sur l’inflation). Or, ces deux indicateurs ont montré que les anticipations d’inflation sont restées positives.
Pour lutter contre le risque de déflation, la BCE a réduit ses taux d’intérêt directeurs au niveau le plus bas possible et qu’elle s’est en outre lancée dans un vaste programme de rachat d’actifs sécurisés auprès des institutions financières afin que celles-ci puisent aisément se procurer des liquidités et qu’elles puissent distribuer des crédits aux entreprises et aux ménages à très faible coût.