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La Méditerranée : un avenir en question

 Aboulmajd Abdeljalil

« Qu’est-ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d’innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. » Fernand Braudel (1902 -1985).

La Méditerranée, berceau des civilisations et des religions monothéistes, a eu une forte influence dans le jeu mondial par le passé. Qu’en est-il aujourd’hui? La Méditerranée est-elle toujours un espace important de la géopolitique mondiale? Quels sont les différents enjeux économiques, géopolitiques et géostratégiques en Méditerranée ? Quels acteurs et quelles puissances se confrontent aujourd’hui ?

Cet article n’a pas prétention à dresser un tableau exhaustif de la situation actuelle et passée d’une des régions les plus complexes du globe, mais il vise humblement à tracer les grandes étapes de l’histoire de la Méditerranée et les enjeux et les défis actuels de cette région.

I) Aperçu historique :

Etymologiquement, le terme « Méditerranée » est tiré du latin « mare mediterraneum », qui signifie « la mer au milieu des terres ». Cette expression est attribuée au géographe romain Solin (C.Julius Solinus), qui vécut au IIIe siècle après J.-C.

L’histoire de la Méditerranée est, depuis l’Antiquité, une histoire commune. Elle est faite de relations complexes, de confrontations et d’échanges mêlant les influences de grandes civilisations.

Au Moyen Âge, la Méditerranée est partagée entre trois grandes civilisations. Celles-ci se définissent par leur religion et par le pouvoir politique qui s’y exerce. Il s’agit de la chrétienté d’Orient, avec l’Empire byzantin, de la chrétienté d’Occident, avec les États d’Europe occidentale, et du monde musulman. Ces trois aires de civilisation connaissent des conflits, mais entretiennent également des rapports commerciaux et culturels.

Ainsi la Méditerranée au Moyen Age est un espace partagé où se côtoient trois grandes civilisations qui vont entretenir entre elles des relations conflictuelles et intenses. Les XIIe et XIIIe siècles voient se développer des conflits pour la maîtrise de cet espace mais aussi et surtout des échanges commerciaux et culturels.

Les XVe et XVIe siècles marquent la rupture entre le Moyen Âge et l’époque des temps modernes. Durant ces deux siècles, le monde méditerranéen connaît des mutations profondes, qui modifient durablement la carte politique de la Mer Intérieure. La Méditerranée orientale et centrale voit la spectaculaire expansion de l’Empire ottoman, aux XVe et XVIe siècles, au détriment de l’Empire byzantin, des possessions vénitiennes et de l’Égypte mamelouke.

Au milieu du XVIè siècle, sous le règne du puissant sultan Soliman, l’Empire ottoman s’étend de la Mer noire à Alger, jusqu’à l’Europe orientale et à la Mer Rouge. Parallèlement, en Méditerranée occidentale, on assiste à la progressive affirmation de l’Espagne, à la faveur des guerres d’Italie (1494-1559): le Royaume de Naples, la Sardaigne et la Sicile sont sous la domination des Espagnols, qui comptent de nombreux États alliés dans la péninsule. L’Espagne se projette également en Afrique du nord.

À l’époque contemporaine,  l’histoire semble s’accélérer en Méditerranée, produisant une fracture Nord-Sud, d’ordre démographique, économique, sociopolitique et culturelle. Les conflits se multiplient du fait de la colonisation et la décolonisation, du fait aussi des différends territoriaux dans les Balkans et dans le bassin oriental à cause de la discorde entre Grecs et Turcs, à propos de l’île de Chypre, et entre Israéliens et Palestiniens. Ils se multiplient également du fait de la confrontation d’idées, de croyances, de modes de vies et d’idéologies dans une Méditerranée entourée entièrement d’Etats depuis le milieu du XXe siècle.

Aujourd’hui, la crise migratoire, les « printemps arabes », la crise financière en Europe ou l’avancée des djihadistes rebattent les cartes de la géopolitique méditerranéenne.

Le phénomène de violence qui sévit en Méditerranée et dans les régions périphériques s’inscrit dans un cadre historique, géopolitique, idéologique. Ce phénomène participe à l’instabilité et à l’insécurité en Méditerranée. S’ajoutant aux trois « conflits froids » (israélo-palestinien, chypriote, Turc-Grec…et), des tensions islamistes qui courent partout en Méditerranée et ont en impact autant à l’Est (Syrie, Arabie, Liban, Turquie) à l’Ouest (Maroc) et au Sud (Egypte, Libye, Tunisie, Algérie) qu’au Nord (attentats en Europe).

 II) Enjeux géostratégiques et géopolitiques :

Au carrefour de trois continents, la Méditerranée est aujourd’hui un espace sous tension, qui a longtemps été investi d’enjeux stratégiques importants : confrontation entre Turcs, Arabes et Européens, rivalité entre puissances, colonisation, contrôle des détroits et du canal de Suez. Elle reste un espace de confrontation entre grandes puissances, on l’a vu avec la question syrienne : des puissances lointaines (États-Unis, Russie) continuent de s’y investir, y compris de nouveaux venus comme la Chine.

La multiplicité des enjeux et des représentations contribue ainsi à faire de la Méditerranée un espace à part. C’est un axe de passage entre l’Orient et l’Occident, caractérisé par une fragmentation économique, sociale et politique majeure, facteur de crises, de déstabilisations régionales et de menaces transnationales (par une interpénétration des trafics mafieux comme la drogue, l’argent, les commerces illicites d’armements, le terrorisme).

Dans ce contexte sécuritaire et géoéconomique tendu, les découvertes de ressources en gaz naturel en Méditerranée Orientale, et plus récemment celle du champ Zhor au large de l’Egypte, constituent un nouvel enjeu géopolitique et engendrent une recomposition des alliances entre les puissances régionales. La Grèce, Israël, l’Égypte et l’administration chypriote grecque, qui ont formé des alliances les unes avec les autres, concernant les ressources énergétiques de la Méditerranée orientale, ont poursuivi leur rapprochement, tentant d’isoler la Turquie dans la région.

Les puissances de rang mondial qui interviennent dans la région le font via des États «clients», dont elles soutiennent la stabilité politique ou qu’elles assistent militairement. L’intervention franco-britannique en Libye en 2011 a par exemple été un puissant facteur de déstabilisation, mais l’affaire syrienne, dans sa confusion même, souligne plutôt un retour à la normale, avec des Russes qui tiennent solidement la ligne traditionnelle (le soutien sans faille à un client), des Américains qui ne s’engagent pas plus avant dans la confrontation, et des Européens (Français et Britanniques au premier chef) incapables de jouer un rôle de premier plan.

Pour les Chinois la Méditerranée est un espace «ultra-périphérique» et pourtant en mai 2015 ils participent à des manœuvres militaires conjointes avec les Russes en Méditerranée. L’idée est là encore à faible coût (quelques officiers chinois), dans un espace éloigné des enjeux vitaux du pays, de limiter la puissance américaine (mais aussi russe, malgré toute la communication sur l’axe Moscou-Beijing) tout en envoyant en message aux pays d’Afrique où se trouve l’enjeu économique réel pour les Chinois. Ainsi l’espace  méditerrané « mou ou mouvant » est utilisé pour une stratégie de Containment ou Endiguement de la puissance américaine ou européenne.

Enfin, il y a des puissances régionales, pour lesquelles cet espace périphérique peut constituer un espace d’expansion plus ou moins indépendamment des grandes puissances mondiales : l’Arabie saoudite ou la Turquie par exemple, mais aussi l’Iran et, depuis quelques années, le Maroc qui, profitant de sa stabilité politique, poursuit en parallèle une ambitieuse politique africaine et une stratégie d’arrimage industriel (automobile) et commercial (agriculture, textile) à l’Europe.

Conclusion :

«Ce toit tranquille où marchent des colombes … » : La Méditerranée ne ressemble guère à l’image irénique de Paul Valéry, la Méditerranée s’enfonce dans les guerres, les crises économiques, les migrations incontrôlées. Elle a perdu ses repères économiques dans le processus de la globalisation économique qui s’est invitée depuis l’effondrement de l’Union soviétique

La Méditerranée apparaît ainsi troublée, fragile, divisés et incapables de parler d’une seule voix au nom de valeurs, de principes et d’intérêts communs.

Dans ce contexte, le projet d’Union pour la Méditerranée fut l’une des rares tentatives de faire bouger les lignes. Fondée le 13 juillet 2008, l’UPM était destinée à renforcer les acquis du Partenariat euro-méditerranéen (Euromed) mis en place en 1995 sous le nom de Processus de Barcelone. Le projet semblait prometteur : 43 pays, une quarantaine de réunions interministérielles et de projets internationaux (du travail des femmes au numérique) mis en place, 1,5 milliard d’euro de projets prévus depuis 2008… et seulement quelques millions d’euros dépensés. C’est en fait un échec. Les principes politiques et juridiques sont posés, les institutions existent, mais on est très loin d’une union politique. L’UPM serait pourtant un outil précieux pour répondre aux enjeux sécuritaires et de développement qui vont de pair. Le géographe et géopoliticien Yves Lacoste disait, la Méditerranée est une mer qui rapproche plus qu’elle ne sépare. L’idée d’une unité possible de la Méditerranée a souvent été valorisée. Pour exister dans un monde multipolaire et mondialisé, les Méditerranéens pourront-ils reconstruire une alliance régionale forte face aux défis du XXIe siècle? 

 Pour aller plus loin :

Bouchra Rahmoun et Younes Slaoui  «Géopolitique de la Méditerranée» PU F, Paris,  2019.

-Fernand Braudel «La Méditerranée : L’Espace et l’histoire»  Editions Flammarion, Paris, 2009.

-Yves Lacoste  «Géopolitique de la Méditerranée» Paris, Armand Colin, 2008.

-Bernard Kayser  « Méditerranée, une géographie de la fracture » Marseille, Edisud, 1996.

-Robert D.Kaplan « la revanche de la géographie, ce que les cartes nous disent des conflits à venir» Editions du Toucan, 2014.

-Hamour Nadia «La Méditerranée. Histoire– Géopolitique» Editions Ellipses 2015.

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