Le développement durable a fait couler beaucoup d’encre. Nombreux sont les acteurs sociaux, les institutions et les organisations qui s’en réclament.
De prime abord, il convient de définir la notion de développement durable avant d’approcher ses principes fondateurs et ses enjeux au Maroc
I) Définition du développement durable
La définition «officielle» du développement durable a été élaborée dans le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, dit rapport Brundtland, où cette expression est apparue pour la première fois en 1987, « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Ainsi, contrairement au développement économique, le développement durable est un développement qui prend en compte trois dimensions : économique, environnementale et sociale. Les trois piliers du développement durable qui sont traditionnellement utilisés pour le définir sont donc : l’économie, le social et l’environnement. La particularité du développement durable est de se situer au carrefour de ces 3 piliers du développement durable.
II) Développement durable : histoire et origine du concept
Le mot de développement durable apparaît au début des années 1970 et 1980 dans des écrits scientifiques. L’un des premiers textes référencés faisant usage de ce concept dans le sens actuel est le Rapport du Club de Rome «Halte à la croissance», mais on en trouve des occurrences dans d’autres textes de la même époque dans des disciplines diverses. Ce rapport publié en 1972 et écrit par deux scientifiques du MIT (Massachusetts Institute of Technology) tentait de questionner notre modèle de développement économique basé sur la croissance économique infinie dans un monde aux ressources finies. Il montrait alors les limites écologiques de notre modèle.
Au niveau international, on commence à parler de développement durable pour la
première fois dans les rapports des Congrès de l’UICN (Union Internationale
pour la Conservation de la Nature). Mais bien avant cela, le développement
durable avait commencé à émerger comme idée.
L’émergence de l’idée du développement durable est concomitante avec celle de la société industrielle. A partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, les sociétés occidentales commencent à constater que leurs activités notamment économiques et industrielles ont un impact significatif sur l’environnement et sur l’équilibre social. Plusieurs crises écologiques et sociales vont avoir lieu dans le monde et vont faire prendre conscience qu’il faut un modèle plus durable.
Même si le développement durable est une idée relativement peu connue jusqu’à la seconde moitié du 20ème siècle, elle a rapidement pris de l’importance face à la multiplication de ces crises écologiques et de leurs conséquences sur les sociétés humaines. Au fur et à mesure de l’avancée des connaissances scientifiques sur des enjeux comme la couche d’ozone, le réchauffement climatique ou la disparition de la biodiversité, la communauté internationale a pris conscience de la nécessité de trouver un modèle économique susceptible de permettre d’assurer nos besoins sans détruire l’écosystème.
III) Évolutions de la définition du développement durable
Il existe une polémique sur l’adjectif «durable» dans développement. En Anglais (langue originale du rapport Brundtland), le terme utilisé est “sustanable development”, qui pourrait se traduire par «développement soutenable». Selon Franck-Dominique Vivien « le terme «durable» a tendance à renvoyer à la durée du phénomène auquel il s’applique, comme si le problème se résumait à vouloir faire durer le développement. Or la notion de soutenabilité permet de mettre l’accent sur d’autres questions relatives à la répartition des richesses entre les générations et à l’intérieur de chacune des générations ». D’un autre côté, l’adjectif soutenable en français renvoie à deux définitions possibles :
-Qui peut être défendu, appuyé par des arguments sérieux. Ex : Ce point de vue n’est pas soutenable.
-Qui peut être supporté, enduré. Ex : Des scènes de violence peu soutenables.
Étymologiquement, il ne renvoie donc pas à l’idée d’une stabilité et d’une régularité dans le temps. Cela pousse le Dictionnaire du Développement Durable de l’Office Québécois de la Langue Française à estimer que le terme «développement soutenable» n’est «pas adapté pour désigner le concept en question. Développement durable est maintenant le terme le plus largement utilisé dans l’ensemble de la francophonie».
À l’origine, le développement durable est un développement qui respecte à la fois les besoins économiques, les besoins sociaux et l’environnement. Mais au fur et à mesure du développement de ce concept, d’autres dimensions s’y sont ajoutées. En particulier, le développement durable s’accompagne désormais souvent d’une réflexion sur l’échelle géographique : ce qui est un développement durable à l’échelle locale peut ne pas l’être à l’échelle mondiale et inversement. D’autre part, la définition du développement durable prend également de plus en plus souvent une dimension politique (quel système permet la meilleure liberté politique ?) ainsi qu’une dimension éthique et morale.
Aujourd’hui, de plus en plus le développement durable se rapproche de la
définition de la résilience.
IV) La remise en cause de la définition du développement durable
Pour certains
penseurs, la notion de développement durable est en elle-même biaisée parce
qu’elle se base sur le concept de «développement», lui même sujet à caution.
Gilbert Rist par exemple, considère que la notion de développement est un
ethnocentrisme et une croyance occidentale.
Selon lui, lorsque l’on parle de «développement (comme lorsqu’on évoque
les pays en développement) on présuppose qu’il existe une forme de
développement universellement souhaitable. En somme, on part du principe que la
société occidentale, société de consommation, société étatique, industrielle et
politique est la forme de société vers laquelle il faut idéalement tendre. Or
il existe d’autres formes de sociétés dans le monde, qui ont vécu des formes de
développement différentes : des sociétés agraires basées sur une agriculture
vivrière par exemple, ou encore des sociétés non-étatiques et autonomes.
Le terme “développement durable” porte donc en lui cette connotation, et
surtout il dénote un impensé d’autres formes de vie que celles établies par la
société capitaliste occidentale.
Les penseurs de la décroissance remettent également en cause la notion de
développement durable, dans le sens où celle-ci est souvent associée à la
croissance économique. En effet, la définition du développement durable
comprend une dimension de développement (de croissance) économique. Or pour les
penseurs de la décroissance, la croissance économique ne peut pas en soit être
un phénomène durable. En effet, comment peut-on espérer une croissance durable
(donc infinie) dans un monde où les ressources ne sont pas illimitées ? Comment
produire toujours plus sur une planète limitée ? Voilà autant de raisons de
questionner la définition du développement durable.
V) Le développement durable : exemples pratiques
Aujourd’hui, la pensée du développement durable commence à se traduire dans la réalité par des changements de pratiques. Il existe donc de nombreux exemples d’actions ou de mises en pratique qui peuvent correspondre à la définition du développement durable.
L’un des exemples les plus communs du «développement durable» en pratique sont les politiques mises en place par les gouvernements pour prendre en compte les problématiques environnementales et sociales.
De nombreux pays sont aujourd’hui en train de prendre conscience que s’ils
veulent exister et se développer sur le long terme, ils doivent préserver leurs
espaces naturels, leurs ressources, mais également fonder une société plus
juste et plus égalitaire.
Au Maroc, l’intérêt pour le développement durable a été porté au plus haut niveau puisque celui-ci a reçu valeur constitutionnelle. L’approche constitutionnelle du développement durable se matérialise, d’une part, par la place qui lui y a été réservée et, d’autre part, par le renforcement des prérogatives du Conseil économique, social et environnemental.
La Constitution du Maroc n’a pas manqué d’aborder le développement durable à plusieurs reprises. Nous en soulèverons les plus significatives. En premier lieu, la Constitution reconnaît le développement durable en tant que droit. À cet égard, son article 31 l’appréhende en mettant à la charge de l’État, des établissements publics et des collectivités territoriales l’obligation d’œuvrer «à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir du droit : (…)-au développement durable».
La Constitution de 2011 a aussi élargi les prérogatives du CESE en y ajoutant le volet environnemental. En ce sens, la Constitution le charge, en vertu de son article 152, de donner son avis sur «les orientations générales de l’économie nationale et du développement durable». Les attributions du CESE sont fixées par la loi organique 128-12 du 31 juillet 2014.
Ce processus a été également renforcé par l’adoption de la Charte nationale de l’environnement et du développement durable, élaborée grâce à une large concertation avec le secteur public, les opérateurs privés et la société civile. La mise en œuvre de la stratégie environnementale et l’Initiative nationale de développement humain (INDH), sont venus compléter ce processus.
Par ailleurs, les principes de développement durable s’intègrent dans les stratégies sectorielles, à l’instar de la stratégie Plan Maroc Vert qui concerne les secteurs de l’agriculture et de l’agro-industrie, cruciale pour la sécurité alimentaire du Royaume.
Le Maroc, faible émetteur de gaz à effet de serre, a adopté en 2009 une politique volontariste et ambitieuse en matière d’énergies renouvelables. Le Maroc s’est fixé pour objectif d’atteindre la production de 52 % de sa capacité électrique grâce à des énergies renouvelables d’ici à 2030.
Ainsi, le Maroc a ouvert les chantiers qui lui permettront de concrétiser sa vision avec des objectifs chiffrés : augmenter la part des énergies renouvelables de 42 % et améliorer l’efficacité énergétique de 12 % d’ici à 2020. En 2030, la part de l’énergie électrique produite à base d’énergies renouvelables s’établira à 52 %.
Une Agence dédiée aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (ADEREE) et une Agence nationale de l’énergie solaire (MASEN) ont été créées. Une législation concernant les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique a été mise en place, ainsi qu’un fonds dédié.
Le projet marocain d’énergie éolienne vise à la mise en place, à l’horizon 2020, d’une capacité de 2 000 MW, permettant une production annuelle qui corresponde à 26 % de la production électrique actuelle du Royaume, et ainsi évite l’émission de 5,6 millions de tonnes de CO2 par an.
Le programme Noor à Ouarzazate illustre l’ambition énergétique du Maroc. D’ici 2030, le pays souhaite générer plus de la moitié de son électricité à partir de différentes sources d’énergies renouvelables, à savoir l’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique. Doté d’une capacité de 580 mégawatts répartie sur quatre centrales, ce complexe figure parmi les plus grands parcs solaires au monde. Il permet aujourd’hui d’alimenter près de deux millions de Marocains en électricité et d’éviter le rejet, dans l’atmosphère, de près d’un million de tonnes par an de gaz à effet de serre.
VI) Développement durable en entreprise : l’exemple de la RSE
Le développement durable a aussi sa place dans les entreprises.
Désormais, de plus en plus d’entreprises sont contraintes d’adopter les principes du développement durable dans leurs activités. Il existe par exemple des textes juridiques qui obligent les entreprises à mesurer leurs impacts environnementaux et à les rendre publics, ce qui les incite à adopter des pratiques plus écologiques.
Ainsi, beaucoup d’entreprises doivent gérer leurs productions en fonction des
principes du développement durable, afin d’améliorer leur impact sur la
planète, sur l’économie et sur la société. Mais c’est aussi le cas des
institutions publiques et de tous les autres acteurs.
Généralement, on regroupe ces pratiques « durables » dans
l’entreprise sous le terme RSE, ou responsabilité sociale de l’entreprise. Concrètement, il peut s’agir de
choisir les énergies renouvelables ou de pratiquer l’efficacité énergétique, de diminuer ses émissions de gaz à
effet de serre et son Bilan Carbone, de pratiquer l’éco-conception ou encore de prendre des mesures
pour moins affecter la biodiversité et les écosystèmes.
In fine, Nous terminons par cette citation prononcée par le professeur Frank Burbage «Quoi de plus précieux qu’une très fragile perspective consolante, qui permet de ne pas simplement être dans le monde, mais d’y partager à nouveau l’espoir d’un avenir amélioré ?».
Pour aller plus loin :
-André Jean Guérin et Thierry Libaert « Le développement durable » Editions Dunod, 2008.
-Dominique Bidou «La Dynamique du développement durable » Presses de l’université du Québec, 2002.
-Franck-Dominique Vivien « Le développement soutenable » Editions la Découverte, Paris, 2005.
-Frank Burbage, « Philosophie du développement durable », Philosophies PUF, Paris 2013.
-Farid Baddache «Le Développement durable au quotidien » Éditions d’organisation, 2006.
–Gilbert Rist « Le développement. Histoire d’une croyance occidentale » Les Presses de Sciences Po, Paris, 2013,
–Philippe Bihouix «L’Âge des low tech, Vers une civilisation techniquement soutenable » Editions du Seuil,, Paris 2014.
–Naomi Klein «Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique» Actes Sud, Paris, 2015.