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Le pétrole, une malédiction ou une chance ?

Il n’est pas possible d’écrire l’histoire du monde arabe sans parler de l’histoire du pétrole. C’est ce que permet ce livre pionnier de Jean-Pierre Sereni .

On doit à un jeune universitaire français, qui utilise de nombreuses sources arabes et pas seulement occidentales, la première histoire arabe du pétrole. Drôle d’histoire à vrai dire. Partis parmi les derniers dans la course à l’or noir, un siècle ou presque après l’Amérique des trusts, la future Indonésie encore coloniale ou le Caucase russe, ils ont connu le mode traditionnel d’exploitation du brut. La concession donnait la propriété exclusive du gisement aux étrangers — surtout anglo-saxons —, et ne laissait aux pouvoirs locaux, le plus souvent dominés par les empires coloniaux, qu’un impôt modeste et nulle voix au chapitre.

Sans aucun concurrent, le contrat portait en général sur la quasi-totalité du territoire. L’environnement supportait les dégâts d’une jeune et rudimentaire industrie qui salit, pollue et compromet plus souvent qu’à son tour le mode de vie des populations installées là depuis des centaines d’années, leurs jardins, leurs pâturages ou leurs espaces collectifs.

La première réaction vint des travailleurs recrutés sur place, mal payés et surexploités. En 1953, l’Aramco, la compagnie américaine qui a le monopole des pétroles d’Arabie saoudite connait la première grande grève des « forçats de l’or noir ». Les syndicalistes sont relayés bientôt par les militants nationalistes qui combattent le colonialisme finissant au nom de l’autodétermination et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Premières grèves

Parallèlement, à New York, Londres ou Paris, de jeunes intellectuels venus des cinq continents remettent en cause le statu quo pétrolier. Les Arabes y sont actifs, notamment un haut fonctionnaire saoudien, Abdallah Al-Tariki, qui s’insurge : comment 85 % de la production mondiale de brut peut-elle être raffinée en dehors des pays producteurs ? La lutte passe de la politique, où les objectifs sont bientôt atteints avec la fin des empires coloniaux, à l’économie où tout reste à faire.

L’indépendance de l’Algérie en 1962, le coup d’état militaire de 1969 en Libye amènent au pouvoir des équipes vite convaincues que seule la récupération du pétrole sortira le monde arabe du sous-développement et permettra de rattraper un retard séculaire. Un cartel pétrolier voit le jour à la fin des années 1950 ; Africains, Arabes, Latino-Américains s’y retrouvent et dix ans plus tard il fait montre d’une détermination et d’une discipline inattendue pour imposer aux compagnies internationales, « les 7 sœurs », le relèvement des prix qui quadruplent en 1973.

Des prix, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) passe à la propriété des gisements, emmenée par la Libye et l’Algérie qui les nationalisent en tout ou en partie. Pendant une bonne dizaine d’années, on peut croire que l’objectif est atteint et que l’argent du pétrole semé dans l’économie des pays pétroliers leur permettra de décoller. Patatras ! En 1981, l’Iran et l’Irak, second et troisième producteurs pétroliers s’engagent dans une guerre meurtrière qui durera près de dix ans, sans que l’OPEP puisse intervenir. Cinq ans après, c’est l’effondrement des prix, conséquence de la récession dans les pays consommateurs. L’Occident a réduit drastiquement sa consommation et diversifié son approvisionnement en énergie en développant le nucléaire et le gaz naturel ignorés par l’OPEP.

Le déclin de l’OPEP

Dès lors, l’opinion publique arabe abandonne son enthousiasme des débuts et devient critique des grandes sociétés nationales qui ont succédé aux compagnies occidentales sur le terrain. Deux facteurs y contribuent : d’abord, la nationalisation a laissé la place à une étatisation sans limite des richesses nationales qui profite d’abord aux États « rentiers » et à leurs forces de police plus qu’à la population ; ensuite la modernisation de l’industrie ne favorise pas l’emploi des nationaux (à peine 1 à 2 % de la population active travaille dans le secteur). Le désamour vis-à-vis de la compagnie nationale algérienne Sonatrach ou de la Saoudienne Armaco domine les esprits. Des minorités ne cachent pas leur rejet, le pétrole est un fléau plutôt qu’une aubaine comme le pensait la génération précédente.

À partir des années 2000, le leadership échappe aux pays producteurs, ce sont les pays consommateurs qui déterminent les prix et les niveaux de production du pétrole. Quotas et plans d’ajustement deviennent le lot des producteurs, même dans le Golfe où il y a beaucoup de brut et peu de nationaux.

L’auteur parle de « crise des États pétroliers » dont les économies sont « noyées dans le pétrole », et les acquis des années glorieuses remis en cause par des régimes en quête de privatisation et de réduction de l’État-providence mis en place ici ou là. Les anciens régimes « révolutionnaires » que sont l’Algérie, l’Irak, la Libye, le Venezuela ou l’Iran ne pèsent plus lourd face aux monarchies conservatrices du Golfe, et d’abord à l’Arabie saoudite qui impose sa volonté à l’OPEP et ailleurs.

On pourra trouver les conclusions de l’auteur trop pessimistes. Le problème est aussi l’usage de l’argent du pétrole par des groupes sociaux inadaptés, qu’il s’agisse des princes du Golfe ou des héritiers des nationalistes d’antan aujourd’hui sans perspective. L’accumulation et le développement ne sont pas leur souci, ils privilégient le maintien de leur pouvoir et de leur fortune. Aujourd’hui comme hier, le pétrole façonne les pays arabes comme leurs relations avec le reste du monde. En bien comme en mal.

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