Il faut qu’une Constitution soit courte et obscure.
Elle doit être faite de manière à ne pas gêner l’action du gouvernement.
Napoléon Bonaparte
Le Maghreb, «du Soleil couchant» en langue arabe, regroupe historiquement trois pays, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, auxquels s’ajoutent aujourd’hui la Mauritanie à l’ouest et la Libye à l’est. Le Maghreb est une région méditerranéenne qui appartient géographiquement au nord de l’Afrique et culturellement au monde arabo-musulman.
Les Constitutions objet de cette étude sont celles : de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie. La Libye et la Mauritanie sont écartées de notre analyse.
En vue de cerner le sujet, il convient de se poser quelques questions : Comment ont évolué les différentes Constitutions dans les pays du Maghreb ? Quelles sont les principales dispositions constitutionnelles ? Peut-on parler de renouveau constitutionnel ? Quelle est la place de la religion dans le texte constitutionnel ? Comment les Constitutions sont-elles appréhendée dans ces pays ?
Mots-clés :
Constitution, Maghreb, histoire, démocratie, religion, identité, Algérie, Maroc, Tunisie.
Introduction
La Constitution est la base du fonctionnement d’un État, elle regroupe l’ensemble des règles de droit qui régissent les institutions, ainsi que des règles de droit qui régissent la vie des citoyens.
Au Maghreb, les textes Constitutionnels diffèrent d’un Etat à l’autre, et ce essentiellement pour des raisons historiques. L’Algérie est une république présidentielle fondée sur un équilibre entre des contraintes autoritaires, nécessaires au maintien de l’ordre et des avancées démocratiques. Le Maroc est une monarchie constitutionnelle dont le Roi incarne à la fois l’autorité spirituelle et temporelle. La Tunisie, enfin, est une république héritière des traditions laïques et modernistes de Bourguiba, premier président de la Tunisie.
I -L’évolution constitutionnelle des Etats du Maghreb
Le Maghreb a connu un mouvement constitutionnel au sens moderne du terme à partir du milieu du XIXe siècle. Dès 1861, la Tunisie s’est dotée de la première Constitution dans le monde musulman. Ce mouvement s’est accru au début du XXe siècle et plusieurs Constitutions arabes ont été promulguées après celle de la Tunisie : l’Egypte en 1923, l’Iraq en 1925, le Liban en 1926. Ce mouvement constitutionnel s’achève après la décolonisation.
A-Avant la colonisation
Le mouvement constitutionnel dans les pays du Maghreb n’est pas récent : il date déjà du XIX siècle. La Tunisie est l’unique pays du Maghreb ayant adopté une Constitution moderne avant le colonialisme, sous la dénomination «Qanun al-dawla» qui prévoyait la création d’un «Conseil suprême» composé essentiellement par des notables détenant des fonctions législatives, administratives, fiscales et juridiques aux côtés du Bey (le chef de l’État), d’une organisation judiciaire fondée sur le principe de l’inamovibilité des magistrats, les ministres étant responsables et devant cette Assemblée et devant le chef de l’État (le Bey). Cette Constitution a transformé, en réalité, le beylicat d’une monarchie absolue en une monarchie constitutionnelle. Cependant, elle a eu une vie très courte : elle était suspendue à la suite d’une violente révolte antifiscale. Elle laissa pourtant des traces profondes dans la culture politique du pays et son impact sur les futures générations de Tunisiens a été indéniable, puisque le parti qui a joué un rôle important pour libérer la Tunisie du joug du protectorat se nomme le «Destour», «Constitution» en référence à la première Constitution de 1861.
B-Après l’indépendance
Les Constitutions des Etats du Maghreb, comme dans les autres ex-colonies françaises, sont construites sur le modèle de la Constitution française de 1958, le «Présidentialisme exécutif».
Vu son histoire, la Tunisie est le premier Etat du Maghreb ayant adopté sa Constitution le 1er juin 1959, trois années après son indépendance. Inspiré par le modèle républicain français et par l’État laïc d’Atatürk, Le président Habib Bourguiba, le «père de la nation», instaure un régime présidentiel et impose un véritable culte de la personnalité, se faisant appeler le «combattant suprême».
Le Maroc a fallu attendre six ans pour avoir sa première Constitution du 7 juillet 1962, qui a fait du vieil Empire chérifien une monarchie constitutionnelle de type orléaniste. (Monarchie Constitutionnelle basée sur le consentement du peuple).
Quant à l’Algérie, la première Constitution a vu le jour le 10 septembre 1963, un an après son indépendance. L’originalité de la première Constitution algérienne s’observe par l’instauration d’un régime présidentiel d’orientation «démocrate-socialiste».
Ces Constitutions postindépendances ont subi depuis leur promulgation plusieurs réformes et révisions constitutionnelles, en Algérie, au Maroc et en Tunisie.
Surpris par la vague de contestations et d’agitation sociale qui a déferlé sur la majorité des pays arabes – communément désignée sous le nom de «printemps arabe»–, les régimes autoritaires du Maghreb ont élaborées, du fait des transitions politiques de nouvelles Constitutions, afin de donner à ces régimes politiques une image moderne acceptée par les nouvelles données nationales et internationales.
II -La Religion et la question d’identité
Après les soulèvements de 2011 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le concept d’identité est revenu en force avec des discours fondés sur la thèse identitaire appelant à une reconnaissance culturelle, linguistique et religieuse. C’est ainsi que le discours amazighe est apparu en Libye et en Tunisie et s’est intensifié fortement au Maroc et en Algérie ; les coptes chrétiens, en Égypte, ont exigé la reconnaissance de leur identité et de leurs droits tandis que les mouvements islamiques ont réclamé la nécessité de fortifier l’identité islamique de l’Etat.
Afin de saisir la portée de la relation Etat-Islam, il convient d’examiner la référence à l’Islam dans les textes constitutionnels des Etats du Maghreb.
La référence à la religion musulmane n’est pas nouvelle dans les constitutions des pays arabo-musulmans. C’est un phénomène qui a toujours existé et qui n’est pas appelé à disparaitre vu le contexte sociologique de ces pays.
Au Maroc, dans tous les textes constitutionnels, il est cité que l’Islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes. Le Roi en tant que Commandeur des croyants, veille au respect de l’Islam. Ce statut de Commandeur des croyants, unique dans le monde islamique, le rend inviolable et sacré.
En Tunisie, l’article 1er de la constitution de 2014 est le même que celui de 1959 consacre l’islam comme étant la religion de l’Etat : «La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime ».
Le génie de cet article réside en ce qu’il affirme l’identité arabo-musulmane de la Tunisie sans indiquer que l’islam est la religion de l’État. L’autre volet important de cette réforme consacre le caractère civil de l’État dans le nouvel article 2 : «La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit » ; et pour sceller le tout, il a été expressément énoncé que ces deux articles ne peuvent être amendés. Cela signifie que l’Etat est distinct de la religion, c’est un Etat démocratique fondé sur la citoyenneté moderne.
Aussi, une des avancées introduites par la Constitution tunisienne est la reconnaissance par l’article 6 de la «liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes», ce qui limite la possibilité d’engager des poursuites pour apostasie.
Toutefois, un changement a été inclus, dans la constitution de 2022 concernant la suppression la référence de l’islam en tant que religion d’Etat à l’Islam. L’article 05 prévoit la préservation des cinq fondamentaux de l’Islam, en substituant la préservation de la liberté, à la préservation de la raison, il dispose que : «La Tunisie constitue une partie de la nation islamique. Seul l’Etat doit œuvrer, dans un régime démocratique, à la réalisation des vocations de l’Islam authentique qui consistent à préserver la vie, l’honneur, les biens, la religion et la liberté. ».
Comme ses pays voisins, l’Algérie a inscrit l’islam comme religion de l’Etat dès sa première constitution de 1963 qui énonce dans son article 2 que «l’islam est la religion de l’État».
Toutefois, la dénomination de «religion d’État» ne doit pas faire oublier que nombre de ces textes constitutionnels précisent les conditions de libre exercice du culte des autres religions, ou que d’autres affirment leur vision d’un Islam modéré et ouvert.
Mais, l’identité ne se constitue pas seulement par la religion, elle s’appuie sur des valeurs, des symboles et des mythes fondateurs. Les nations, comme les individus lorsque leurs évolutions semblent entravées et que quelque difficultés les menacent, recherchent dans leur passé des raisons de se rassurer sur l’avenir.
Ainsi, dans le préambule de la Constitution du 1er juillet 2011, le Maroc se définit comme un État musulman souverain dont l’unité est forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanienne, enrichie par ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».
De même, en Algérie le préambule de la nouvelle Constitution enrichie met en exergue les valeurs spirituelles profondément enracinées et les traditions de solidarité et de justice du peuple algérien qui demeure confiant dans ses capacités à œuvrer pleinement au progrès culturel, social, économique du monde d’aujourd’hui et de demain. Il est, affirmé que «L’Algérie terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain, s’honore du rayonnement de sa Révolution du 1er Novembre et du respect que le pays a su acquérir et conserver en raison de son engagement pour toutes les causes justes dans le monde».
III -Le renouveau constitutionnel comme fondement à la démocratisation
Le renouveau constitutionnel est venu suite aux soulèvements politiques survenus dans les pays du Maghreb pendant ce que l’on a appelé «Le printemps arabe» qui est peut être mort aujourd’hui. Mais il peut être ressuscité à tout moment.
C’est dans ce contexte de soulèvements, que les Etas du Maghreb ont adopté de nouvelles Constitutions à savoir : le Maroc, la Tunisie et récemment l’Algérie.
Vu les différents contextes dans lesquels ces trois Constitutions ont été adoptées, quelques éclaircissements sommaires à cet égard s’imposent.
En Tunisie la Constitution du 27 janvier 2014 est remarquable par son contenu. Elle est la plus démocratique des pays d’Afrique du nord et du Moyen-Orient par ces dispositions comme la liberté de conscience et de culte, l’égalité entre citoyens et citoyennes et l’indépendance de la justice.
En réaction à l’autoritarisme de Bourguiba et à celui, encore plus prononcé, de Ben Ali, la Constitution tunisienne de 2014 consacre un pouvoir exécutif bicéphale et un régime parlementaire. Ce régime rompt avec celui présidentiel ayant centralisé autrefois le pouvoir entre les mains du Président de la République et, ayant donné de larges pouvoirs exécutifs au chef du gouvernement. Le but est de segmenter l’exécutif afin d’empêcher tout détournement antidémocratique du pouvoir.
Toutefois, la dernière constitution de 2022 dite de Carthage opte pour un régime présidentiel au lieu du régime mixte inscrit dans la constitution 2014. Elle renoue ainsi à quelque différence près, avec la constitution de 1959 et son régime présidentiel, sachant que le régime tel qu’il était exercé sous Bourguiba et Ben Ali était plutôt présidentialiste, fondé sur le culte de personnalité pour le premier, et l’autoritarisme pour le second.
Dans la constitution de 2022, « le gouvernement est responsable devant le chef de l’Etat » et « mène la politique de l’Etat, conformément aux orientations et aux choix fixés par le président de la république » (Arts 111 et 112).
Ainsi, la Constitution progressiste et démocratique de 2014, élaborée dans le cadre d’un processus soutenu par la société civile, qui a empêché un retour à l’autocratie et permis à quatre groupes de la société civile tunisienne de recevoir le prix Nobel de la paix, est morte.
Au Maroc, la monarchie se définit comme «constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale », en ajoutant le terme «parlementaire» à la rédaction de 1996. Mais son esprit semble rester inchangé, presque intact, puisque le Roi demeure incontestablement la pièce maîtresse du système mis en place.
Dans le préambule il est noté que le Maroc a pour objectif de construire un «État de droit démocratique». Le préambule souligne aussi, explicitement, l’attachement du Royaume aux droits de l’homme «tels que universellement reconnus». Déjà présente dans le préambule de la précédente Constitution de 1996, l’affirmation d’un attachement du Maroc aux droits de l’homme n’avait jusqu’alors produit aucun effet concret, en l’absence d’une décision du Conseil constitutionnel accordant au préambule une valeur identique à celle de la Constitution proprement dite.
La constitution marocaine a introduit de nouvelles dispositions et fondements, qui concernent la séparation et l’équilibre des pouvoirs, l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives, le renforcement du système des droits de l’Homme et l’égalité entre l’homme et la femme dans le domaine de la jouissance des droits. Elle consacre pour la première fois, la reconnaissance de la composante culturelle amazighe, la volonté d’ériger la justice en un pouvoir indépendant. Elle prévoit également le renforcement du statut du premier ministre devenu chef du gouvernement et qui est nommé par le Roi à partir du parti arrivé en tête aux élections législatives.
Par ses nouvelles énonciations de droits et libertés, la Constitution marocaine de 2011 est certainement une avancée importante, mais le problème que pose ce texte est le suivant : est-ce qu’une constitution qui veut promouvoir les droits de l’Homme sans institutions indépendantes et fonctionnement politique démocratique est une Constitution démocratique ? (Only time will tell !)
En Algérie la Constitution de «la nouvelle Algérie » annonce des nouveautés, notamment au niveau de l’organisation des pouvoirs. La nouveauté la plus importante de la Constitution du 1er novembre 2020 est l’élaboration d’une nouvelle doctrine militaire en accord avec la modernité de l’État. L’armée nationale populaire (ANP) issue de l’insurrection du 1er novembre 1954 pourrait intervenir désormais en dehors du territoire national dans les missions de paix et ce, après accord du Parlement.
La Cour Constitutionnelle qui remplace le Conseil Constitutionnel est renforcée dans son rôle et son indépendance puisqu’il disposera de l’autonomie administrative et financière. Outre l’examen de la constitutionnalité des lois, il est habilité, lorsqu’il constate ou qu’il est saisi, à annuler toute disposition législative ou réglementaire qu’il juge inconstitutionnelle.
Le Président de la République conserve l’essentiel de ses prérogatives, puisqu’il reste seul à l’initiative de la révision de la Constitution, peut opposer aux lois adoptées par le Parlement son veto, dispose du pouvoir réglementaire autonome, est responsable des affaires étrangères et de la défense nationale, nomme walis et généraux, un tiers des membres du Conseil de la Nation, nomme et révoque le chef du gouvernement.
Certes, le pouvoir est toujours centralisé, mais il doit être partagé entre un nombre croissant d’institutions, ce qui entraîne également une plus grande complexité de l’organisation étatique. Le pouvoir contrôle de plus en plus de secteurs d’activités, mais en contrepartie associe de plus en plus de nouvelles personnes à l’exercice du pouvoir.
Bref, l’avenir dira si la réforme constitutionnelle de 2020 ne constituait qu’une façade au renforcement de l’autoritarisme.
Conclusion
L’étude des textes Constitutionnels des Etats maghrébins post-coloniaux, fait apparaître de nombreuses analogies avec les Constitutions occidentales. «D’où la tentation pour le juriste d’interpréter le phénomène en termes de modèles et de mimétisme». Mais si l’on passe de l’examen de la lettre des textes constitutionnels et législatifs à celui de leurs conditions concrètes de la pratique, une autre évidence s’impose.
La Constitution n’est pas uniquement une feuille de papier sur laquelle sont écrits les règles et les principes, c’est aussi une pratique, car une constitution aussi précise soit-elle, laisse toujours la place à l’interprétation et à l’exégèse.
Ainsi, La valeur de la constitution n’est pas dans son contenu ou sa démarche théorique mais dans le mode de son application.
De ce fait, le texte constitutionnel ne suffit pas, c’est la pratique qui compte, car «Une bonne Constitution ne peut suffire à faire le bonheur d’une nation ; une mauvaise peut suffire à faire son malheur», disait si bien, le regretté Professeur Guy Carcassonne.
Pour aller plus loin :
-André Cabanis et Michel Louis Martin «Les constitutions d’Afrique francophone » Editions Karthala, Paris, 1999.
-Ben Achour Rafaâ et Ben Achour Sana, «La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire».RFDC, n°92, 2012.
–Christophe Boutin, Jean-Yves de Cara et Charles Saint-Prot «Les constitutions arabes» Editions Descartes Karthala, Paris, 2016.
-Gérard Conac et Abdelfattah Amo (dir) «Islam et droits de l’homme» Editions Economica, Paris, 1994.
–Guy Carcassonne et Marc Guillaume «La Constitution- Introduite et commentée par Guy Carcassonne et Marc Guillaume» Collections Points Essais, Paris, 2014.
-Mathieu Bertrand «Constitution : Rien ne bouge et tout change» Editions Lextenso, Paris, 2013.
-Khalfa Mameri «Les Constitutions algériennes : histoire-textes-réflexions» Éditions Thala, Alger, 2008.
-Sabine Lavorel «Les constitutions arabes et l’Islam. Les enjeux du pluralisme juridique» Presses de l’Université du Québec, Montréal, 2005.